Table ronde sur les droits humains et la religion
Une table ronde placée sous le signe du 70e anniversaire de la déclaration universelle des droits humains a débattu des rapports existant entre ces droits et les religions. Dans la mesure où ils définissent des valeurs et des droits, tous deux revendiquent en effet une application universelle. D’où, entre eux, un champ de tension tout indiqué pour un débat contradictoire. Tel est le sujet dont se sont entretenus, à l’Université de Berne, des invités du monde de la recherche, de la religion et de la société civile. La soirée était organisée par la FSCI, la PJLS, le CSDH et le Groupe parlementaire pour les droits humains.
Avec la Déclaration universelle des droits humains a été défini, voici 70 ans, un catalogue de droits fondamentaux faisant référence pour tout être humain, quelles que soient son origine et sa religion. Les droits humains et la religion affirmant donner au monde des valeurs et des repères, les intervenants se sont demandé s’ils se complétaient, se superposaient ou – sait-on jamais – se contredisaient. Dans un amphi bien rempli ont pris la parole Valentin Abgottspon, vice-président de la Libre Pensée, Eva Maria Belser, membre du directoire du Centre suisse de compétence pour les droits humains CSDH et professeure de droit public et administratif à l’Université de Fribourg, René Bloch, professeur de judaïstique à l’Université de Berne, Rifat Lenzin, spécialiste en sciences islamiques, et Christian Rutishauser, provincial des Jésuites de Suisse. La modératrice était Brigitta Rotach, responsable du programme culturel Haus der Religionen.
Les droits humains une écharde dans le flanc de la société?
Les intervenant s’accordaient à reconnaître une proximité entre droits humains et religion et, se référant à l’histoire des idées, à considérer les religions comme l’un des terreaux des droits humains. René Bloch rappela que ceux-ci plongent notamment leurs racines dans les religions et Christian Rutishauser qu’il est démontré qu’ils émanent de plusieurs sources, pour partie religieuses, mais aussi philosophiques. À ceci près – et la différence est grande - expliqua-t-il, qu’ils constituent aujourd’hui un ensemble d’instruments juridiques s’opposant parfois à la religion dans la mesure où leur appartiennent des éléments portant un jugement critique sur la culture et les traditions, mais également sur les religions. Selon Eva-Maria Belser, les droits humains seraient une « écharde au flanc de la société » en ce qu’ils prétendent changer les choses et défendre l’égalité des êtres humains. Quant au rapport entre la religion et les droits humains, il lui apparaît comme un côte à côte d’éléments pouvant aussi bien s’épauler les uns les autres que s’affronter avec âpreté.
Les droits humains universels : une utopie ?
Les droits humains s’appliquent-ils universellement ? Cette question suscita de vives réactions. Rifat Lenzin fit observer qu’en 1948, année de leur proclamation, de grandes parties du monde arabe, de même que l’Inde, étaient encore sous domination coloniale. Si le concept des droits humains est bel et bien universel, leur mise en œuvre, en revanche, a fortement laissé à désirer, a-t-elle rappelé. Une réserve qui subsiste jusqu’à ce jour pour le monde arabe. Alors qu’on avançait dans la soirée, vint à se poser la question de savoir si les principes des droits humains, ainsi que leur mise en œuvre, ne relèvent pas purement et simplement de l’utopie. L’idée que l’on se fait de droits humains qui ne cesseraient d’évoluer n’existe-t-elle pas depuis toujours ? Adepte de la libre pensée, Valentin Abgottspon exprima l’espoir que, véhiculée par la culture, la télévision et Internet, l’idée de l’égalité et de la liberté finirait par se répandre et parviendrait ainsi à son épanouissement.
Cultivés, doués pour la parole, les intervenants enrichirent les débats d’une bonne dose d’humour et de rhétorique. Tout comme le public, ils n’auraient vu aucun inconvénient à ce que la discussion se prolonge, ce qui en dit long sur l’intérêt que suscite ce sujet ainsi que sur la complexité des rapports qu’entretiennent la religion et les droits humains. Si le débat n’a pas conduit à faire émerger un consensus entre les deux, il n’a pas non plus fait apparaître de contradiction de fond. Tout le monde a finalement été d’accord sur le fait que les droits humains sont un des fondements de notre société et qu’il est important de les défendre. Et c’est sur l’idée de cette foi unificatrice dans les droits humains qu’un public réconcilié avec lui-même s’est rendu à l’apéro et, finalement, perdu dans la nuit.
Cet événement était organisé par la Fédération suisse des communautés israélites FSCI, la Plateforme des Juifs Libéraux de Suisse PJLS ainsi que le Centre suisse de compétence pour les droits humains CSDH, en coopération avec le Groupe parlementaire pour les droits humains.
La table ronde sous forme d'enregistrement audio
Religion et droits humains : protection ou contradiction ?
Fiche d’information sur la jurisprudence de la CourEDH en matière de liberté de religion
Comment la CourEDH juge-t-elle une dispense scolaire pour raisons religieuses ou une interdiction du port du voile ? La fiche d’information du CSDH montre que la CourEDH laisse aux États une grande marge de manœuvre en ce qui concerne les limites posées à la liberté de religion.
L’État peut-il suspendre des crucifix dans les écoles publiques ? Oui, selon la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), qui a jugé que la croix sur le mur n’est qu’un symbole et n’exerce aucune influence religieuse. Le Tribunal fédéral, quant à lui, a décidé en 1990 qu’une croix dans la salle de classe porte atteinte à la liberté de religion des élèves et que l’État ne doit afficher aucun lien avec une quelconque religion.
Ce cas de figure fait partie les divers exemples abordés par la fiche d’information « Jurisprudence de la CourEDH en matière de liberté religieuse ». Ces exemples concernent notamment les dispenses scolaires pour raisons religieuses (telles que dispenses de cours de natation ou d’éducation sexuelle), le port du voile et du voile intégral dans l’espace publique ou encore l’interdiction en Suisse de la construction des minarets. Les arrêts de la CourEDH de ces dernières années au sujet de la liberté de religion sont listés et comparés avec la jurisprudence du Tribunal fédéral.
Vers le Centre suisse de compétence pour les droits humains (CSDH)