L’interview de Maurice Gardiol et d’Eric Ackermann : « Le dialogue interreligieux est la seule manière de faire pour construire un véritable vivre ensemble, pour prévenir les exclusions et les discriminations ».
Suite à l’attribution du Prix du dialogue, nous avons discuté avec les deux lauréats romands Eric Ackermann et Maurice Gardiol. Ils nous ont parlé de la signification du prix pour eux, et à quoi ressemblerait leur coopération à l’avenir.
FSCI : Que signifie le prix pour vous ?
Eric Ackermann : Je pense fondamentalement que ce n’est pas « mon » prix. Je représente la Plateforme Interreligieuse, ainsi que la communauté juive de Genève. Je pense que ce prix est une initiative extraordinaire, qui va donner un peu plus d’élan pour l’ensemble de notre communauté. Ne pas être dans le repli, s’ouvrir à l’autre. Evidemment, sans changer qui nous sommes car le but n’est pas de vouloir ressembler à ceux qui sont en face de nous, mais de pouvoir susciter le dialogue de manière à ce que nous puissions vivre ensemble.
Maurice Gardiol : Pour moi c’est une reconnaissance, non pas de ce que j’ai pu faire personnellement, mais de l’importance de la poursuite du dialogue avec les différentes personnes et communautés membres de la Plateforme Interreligieuse de à Genève. C’est un grand défi, on y travaille depuis 25 ans, et on voit que cela prend beaucoup de temps. Mais c’est le seul moyen de préserver un vivre-ensemble et la possibilité d’apporter quelque chose à la société dans laquelle on vit qui soit constructif. La vision des religions aujourd’hui est souvent négative. On doit démontrer qu’il y a une autre manière de vivre la religion, avec le dialogue interreligieux. Je pense que le prix vient souligner cette volonté-là, aussi de la communauté israélite de Suisse, et je crois que c’est important, que chacun le dise et motive les gens à l’intérieur des communautés.
FSCI : Pourquoi le dialogue interreligieux est-il important ?
Eric Ackermann : Dans le 3ème chapitre de la Genèse, au début de Berechit, le texte nous rappelle que lorsque l’homme et la femme ne se parlent pas c’est le serpent qui parle ! Tant que nous ne sommes pas capables de nous parler, nous ne pourrons pas créer de lien, et ne pourrons construire. Le dialogue, ce n’est pas la communication, parce qu’aujourd’hui nous avons les outils pour communiquer mais nous ne nous parlons plus ! C’est en revanche de susciter un dialogue avec la personne que nous avons en face de soi, sans vouloir la changer.
Maurice Gardiol : Le dialogue interreligieux est la seule manière de faire pour construire un véritable vivre ensemble, pour prévenir les exclusions et les discriminations. J’aime beaucoup dans la tradition juive « je me souviens ….que j’ai été exilé ». Presque 80 à 90% de la population en Suisse, en tout cas à Genève, peut dire « j’ai été exilé, ou j’ai des parents, des grands-parents et arrières grands-parents qui ont été exilés ». Un exil pour des raisons religieuses, politiques, économiques. Si on retrouve ce souvenir commun, alors je pense qu’on a une possibilité de se dire comment vivre ensemble en provenant de ces différents horizons et de ces différentes histoires. J’aime souvent citer Martin Luther King qui disait : « ou bien nous vivons ensemble comme des frères et des sœurs, ou nous allons tous mourir ensemble comme des idiots ».
FSCI : Quelle influence le prix a-t-il sur la coopération judéo-chrétienne ?
Eric Ackermann : Je ne pense pas que le prix soit un aboutissement en soi. Cela force le devoir de construire, car c’est un prix qui reconnaît tout le travail qui a été fait avant nous. Cela fait seulement 5 ans que je suis à la Plateforme, mais c’est 25 ans de travail colossal qu’ont effectués les fondateurs, comme Jean-Claude Basset, le rabbin François Garaï et Jean Halpérin. Ce prix nous invite à poursuivre ce travail et à construire. Le chemin sera long, mais quand on est valorisé comme ce soir, cela donne du courage de continuer.
Maurice Gardiol : Je pense que pour nous à Genève, ce prix nous donne la possibilité de développer et de renouer des liens avec les communautés juives de Genève. Nous allons voir avec la communauté juive, que ce soit au sujet du projet Likrat ou d’autres projets, comment on pourrait trouver des délégués qui sont convaincus, mais également à l’intérieur de nos communautés respectives, comment intéresser plus de monde pour susciter des rencontres et approfondir ce dialogue.
FSCI: De quels projets communs êtes-vous particulièrement fiers ?
Eric Ackermann : Tout le travail que nous avons pu faire sur la valorisation de la diversité qui a été élaboré et réalisé avec le soutien du canton et de la Ville de Genève. C’est aussi bien sûr d’avoir contribué au projet Likrat. Puis tout le travail que nous avons fait avec Laure Bronnec, qui est chargée de suivi de projets à la Plateforme Interreligieuse. Nous avons pu bâtir autour de l’information, du dialogue et de l’action.
Maurice Gardiol : Je pense que ce qu’on a vécu lors de ces trois dernières années dans le cadre de la Plateforme avec le développement d’un projet qui a pu être soutenu par le Canton et la Ville de Genève, est une grande fierté pour nous. Genève, comme vous le savez, est une citée laïque qui a beaucoup de réserves lorsqu’on parle de religieux. Tout à coup la Ville de Genève a vu qu’à partir du moment que des gens de religions étaient prêts à dialoguer ensemble et à construire des projets ensemble, cela valait la peine de soutenir cette démarche. Cela permet d’aider à l’intégration, d’aider à dépasser un certain nombre de peurs chez les uns et chez les autres, à éviter des discriminations et à contribuer à la lutte contre le racisme. Pendant ces vingt-cinq dernières années, nous avons tissé des liens, crée de la confiance, et nous avons avancé dans cette dimension-là.
FSCI: A quoi devrait ressembler la coopération à l'avenir ?
Eric Ackermann : Mon envie est de contribuer aux projets de la FSCI, et de poursuivre ce que nous avons amorcé au sein de la Plateforme. Entre autres, nous mettons en place d’immenses débats. Le prochain aura d’ailleurs lieu le 19 juin à la Maison des Associations. D’autres projets pour la rentrée sont en gestation, telle que la semaine des religions qui demande aussi beaucoup d’investissement.
Maurice Gardiol : Le défi est bien entendu de poursuivre ce qu nous avons commencé, mais aussi de pouvoir mobiliser plus à fond, à l’intérieur des différentes communautés. Nous voulons convaincre les gens que c’est bien de vivre la communauté et avoir un lieu où on se rassemble, mais au’il faut aussi sortir et aller à la rencontrer des autres et apprendre à les connaître pour ne pas s’en tenir à des stéréotypes ou à une tolérance molle. C’est pour cela que nous aimons le projet Likrat, qui doit être élargi non seulement aux ados, mais aussi aux adultes. C’est cela que nous aimerions continuer à développer ensemble.